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La France condamnée pour le fichier des empreintes digitales

Dans un arrêt du 18 avril 2013 (Affaire M. K. c. France}]), la Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Etat français pour violation de l’article 8 de la CESDH, suivant lequel « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Sans contester le but légitime poursuivi par le fichier des empreintes digitales (FAED), à savoir la détection et la prévention des infractions pénales, elle rappelle que "Le droit interne doit notamment assurer que ces données soient pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles soient conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. Il doit aussi contenir des garanties de nature à protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées contre les usages impropres et abusifs » (§35). Outre le champ d’application trop extensif du FAED, qui s’étend à des infractions mineures, la Cour insiste sur les risques de « stigmatisation » et d’atteinte à la présomption d’innocence des personnes fichées n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation par une juridiction de jugement. Si, de ce point de vue, la conservation de données privées n’équivaut pas à l’expression de soupçons, encore faut-il que les conditions de cette conservation ne leur donne pas l’impression de ne pas être considérés comme innocents » (§36). Elle pointe également la durée excessive de conservation des données (25 ans), ainsi que le caractère « théorique et illusoire » de la possibilité d’obtenir l’effacement des données.

« Le droit de présenter à tout moment une demande en ce sens au juge risque de se heurter à l’intérêt des services d’enquêtes qui doivent disposer d’un fichier ayant le plus de références possibles » (§44). Les chances de succès des demandes d’effacement étant « pour le moins hypothétiques », une durée de 25 ans « est en pratique assimilable à une conservation indéfinie » (§45). La Cour estime dès lors que « l’Etat défendeur a outrepassé sa marge d’appréciation en la matière, le régime de conservation dans le fichier litigieux des empreintes digitales de personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées ne traduisant pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu. Dès lors, la conservation litigieuse s’analyse en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique » (§46).

Si cette décision ne vise que le FAED, l’argumentaire de la Cour suffit à prédire de nouvelles condamnations, en raison des faibles garanties de corrections ou d’effacement ainsi que des durées de conservations quasi illimitée. Bien d’autres fichiers policiers français, sinon la quasi-totalité, ne respectent pas les exigences que l’on est en droit d’attendre d’un Etat de droit, a fortiori lorsqu’il se présente comme la patrie des droits de l’homme. Les textes relatifs aux fichiers d’antécédents policiers pourraient appeler les mêmes interprétations jurisprudentielles, d’autant que les durées de conservation sont fréquemment plus longues, et les garanties offertes en matière d’effacement des données nettement moindres. En effet, le décret n°87-249 du 8 avril 1987 relatif au FAED prévoit, en cas de refus d’effacement de la part du procureur, la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention pour qu’il statue par ordonnance motivée dans un délai de deux mois. Rien de tel n’est prévu pour les fichiers d’antécédents policiers, le parquet pouvant prescrire discrétionnairement la conservation des données « pour des raisons liées à la finalité du fichier » (art. 230-8 CPP). Comment considérer par ailleurs que la conservation des données en l’absence de condamnation « n’équivaut pas à l’expression de soupçons » dès lors que le fait d’être fiché surdétermine de plus en plus les orientations procédurales et/ou les sanctions décidées par les parquets (voir notre Audition publique par la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive) ?

Pourtant, 28% des fiches du STIC et 38% de celles du JUDEX contrôlées par la CNIL en 2011 étaient exactes. Son dernier rapport, daté du 13 juin 2013, démontre que la LOPPSI 2, la mise en œuvre du nouveau traitement des antécédents judiciaires (TAJ) et les interconnexions envisagées avec Cassiopée ne résoudront que très partiellement ces dysfonctionnements. Sans la moindre correction ni précaution, toutes les fiches du STIC et du JUDEX ont été transférées dans ce nouveau fichier. La fusion « a parfois occasionné la création de plusieurs fiches pour une même personne lorsque celle-ci a plusieurs antécédents », de sorte que le TAJ se compose de plus de 12 millions de fiches relatives à des personnes mises en cause, quand le STIC et le JUDEX en contenaient respectivement 6.8 et 2.6 millions. Tout en insistant sur le caractère marginal de tels enregistrements, la CNIL évoque la présence de fiches relatives à des mineurs de moins de dix ans ayant commis des infractions mineures. Alors qu’une circulaire de 2007 restreint cette possibilité aux faits « particulièrement graves ou en raison de la personnalité du mineur », son rapport mentionne à titre d’exemple le cas d’un mineur de 6 ans ayant commis un vol simple. Malgré la modification des thesaurus de signalement des personnes, le type « gitan » apparaît encore dans des champs de commentaires libres du STIC et du JUDEX.

Ces dysfonctionnements ne peuvent être imputés aux seuls agents du ministère de l’Intérieur. Ils résultent tout autant de graves défaillances dans la transmission des suites judiciaires, pour partie liées au manque de personnels dans les juridictions. La CNIL évoque des carences « dans la plupart des parquets », « l’absence ou nette insuffisance » des mises à jour à la suite de classements sans suite, d’ordonnances de non-lieu, de relaxes et de requalifications judiciaires. Alors que les motifs exigeant une transmission des suites judiciaires sont passés de 3 à 27 depuis la LOPPSI 2, le nombre de transmissions est resté stable. 30% des 742 fiches contrôlées par la commission mentionnaient une qualification pénale différente de celle retenue par le juge, avec des taux d’inexactitude variant de 5% à 70% selon les juridictions. En définitive, on voit mal comment ces fichiers truffés d’erreurs, transformant parfois des victimes en dangereux délinquants, pourraient répondre en pratique à la finalité qui leur est assignée : « faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs » (Article 230-6 du CPP). Il faut ajouter le poids de telles données à l’occasion des enquêtes de moralité préalables à certains recrutements (plus de 100 000 réalisées chaque année). Alors que plus d’un million d’emplois sont concernés, la CNIL indique qu’« un nombre particulièrement important de décisions de refus d’habilitation, d’agrément et de recrutement seront potentiellement prises, à tort, sur le fondement de données inexactes ou, à tout le moins, qui n’auraient pas dû être accessibles aux autorités administratives ». Les personnes visées devront toutefois être patientes avant de comprendre un licenciement ou un refus d’embauche injustifié. La durée de traitement des demandes de droit d’accès indirect par la CNIL est en effet comprise entre 12 et 18 mois, lorsque la loi prévoit une durée maximale de 6 mois. Malgré une obligation légale datant de 2003 (article 230-8 CPP), les parquetiers n’ont quant à eux toujours pas de terminaux d’accès aux fichiers policiers.

Puisque la Cour EDH juge excessif le champ d’application du FAED, la légalité des fichiers d'analyse sérielle semble également sujette à caution. Au-delà des personnes à l’encontre desquelles existent des « indices graves ou concordants rendant vraisemblable » (les personnes mises en examen) qu'elles aient pu participer à la commission d'une infraction, ceux-ci permettent d’enregistrer des données sur les individus à l'encontre desquels existent des « raisons sérieuses de soupçonner » qu'ils ont commis ou tenté de commettre une infraction (c’est-à-dire les personnes qui ont fait l’objet d’une vérification d’identité ou d’une garde à vue même si elles n’ont pas été inquiétées par la suite), et sur ceux « susceptibles de fournir des renseignements sur les faits » » (c’est-à-dire les simples témoins, voire les victimes) (art. 230-13 CPP). Plutôt que de perpétuer le déni de ses prédécesseurs, l’actuel gouvernement devrait aussi relire l’arrêt Marper c. Royaume-Uni du 4 décembre 2008, qui l’éclairerait sur la légalité du FNAEG, ainsi que l’arrêt Segerstedt-Wiberg et autres c. Suède du 6 juin 2006, qui porte quant à lui sur les fichiers de renseignement. Si la Cour admet que l’existence de services de renseignement peut s’avérer légitime dans une société démocratique, elle a précisé que « le pouvoir de surveiller en secret les citoyens n’est tolérable d’après la Convention que dans la mesure strictement nécessaire à la sauvegarde des institutions démocratiques ». Cette condamnation de la Suède est d’autant plus instructive que le champ d’application et la finalité du fichier visé (faciliter les enquêtes concernant le terrorisme et les infractions à la sécurité nationale) étaient nettement plus circonscrits que nos propres fichiers de renseignement.

Le gouvernement et/ou la nouvelle majorité parlementaire attendront-ils une nouvelle condamnation de la Cour EDH pour garantir la vie privée des citoyens, mais aussi redonner son sens véritable au « droit à la sûreté » consacré par l’article 2 de la DDHC, abusivement confondu avec ce qui serait un « droit à la sécurité » ? Auront-ils au contraire suffisamment de courage politique pour rappeler à la population que « la sécurité absolue des biens et des personnes ne sera jamais complètement assurée dans un Etat de droit. C’est le dilemme inscrit au cœur de l’application de la loi » (Robert CASTEL, L’insécurité sociale, Seuil, 2003) ?

Virginie GAUTRON (Université de Nantes)

Source :http://laurent-mucchielli.org