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Alphonse Bertillon Pionnier de l'identification judiciaire

Qui était Alphonse Bertillon? Le pionnier français de la reconnaissance faciale... au XIXe siècle

Dans son célèbre roman Le Chien des Baskerville, Arthur Conan Doyle l'affirme, Alphonse Bertillon est le seul capable de supplanter Sherlock Holmes. Mais comment cet homme entré à la Préfecture de police à l’âge de 26 ans comme simple commis aux écritures a-t-il mis au point la méthode révolutionnaire qui le rendit célèbre ?

L'avènement de la méthode d’Alphonse Bertillon coïncide avec la période où des avancées majeures vont révolutionner de nombreux aspects de la médecine médico-légale. C’est l’essor scientifique de la criminalistique. "Pionnier de l'identification judiciaire avec son système de portraits anthropométriques, Bertillon est, avec le Dr Edmond Locard (1877-1966) qui a introduit l’étude des empreintes digitales à Lyon, le père des sciences criminalistiques", explique le Dr Bernard Marc.

En quoi consiste le système anthropométrique mis au point par Bertillon ?

Le service photographique de la préfecture compte plus de 80 000 photos lorsque Bertillon est nommé à sa tête en 1882. Non seulement elles ont été prises sans uniformité, mais les fiches descriptives qui les accompagnent sont lacunaires et peu précises, en tout cas trop vagues pour permettre d'identifier un criminel.

Alphonse Bertillon commence alors à réfléchir à une méthode qui pourrait permettre non seulement d’inventorier les profils des criminels, mais aussi leur identification. C’est le début de l’anthropométrie judiciaire, un système qu’on appellera ensuite le "bertillonnage".

Onze mesures et plusieurs photographies

Cette méthode repose sur l’idée que chaque squelette humain possède des caractéristiques uniques et consiste à relever onze mesures du corps, de la tête et des membres, notamment au moyen d’un compas : taille de l’individu debout, envergure des bras, taille du buste, longueur et largeur de la tête, longueur et largeur de l’oreille droite, longueur du pied gauche, longueur du doigt médius gauche (le majeur), longueur de l’auriculaire gauche, longueur de la coudée gauche. “On se rend compte à cette époque que personne n’a une oreille identique à quelqu’un d'autre. Cette mesure est aussi fiable que les empreintes”, remarque le Dr Marc. “Mais outre ces mesures, sont réalisées des photos judiciaires millimétrées sur une chaise anthropométrique. La tête est maintenue et l’individu est photographié de face et de profil. Bertillon utilise tous les instruments les plus modernes et ces fiches ne sont plus seulement descriptives. C’est un progrès considérable”, ajoute le médecin légiste.

Cette photographie est collée sur la fiche signalétique qui contient toutes les données mesurées mais aussi certaines données supplémentaires comme la présence et la localisation de cicatrices ou de tatouages. La question du classement de ces fiches est évidemment cruciale et Bertillon sépare les hommes, les femmes et les mineurs. D’autres subdivisions sont réalisées au sein de chaque catégorie, au total plus de 25 en fonction de la taille de l’individu, de la mesure de la tête ou encore de celle du médius.

De l’arrestation de Ravachol à la création du service de l’Identité judiciaire

L’une des premières grandes réussites associées à la méthode de Bertillon est l’arrestation du criminel multirécidiviste Ravachol en 1892. “Ennemi public numéro 1, cet anarchiste est l’instigateur de plusieurs attentats à la bombe. Il est confondu par les mesures prises deux ans auparavant lors d'un banal vol de vélo, et est condamné grâce à des données anthropométriques”, explique le Dr Marc. Le service de l’Identité judiciaire est créé l’année suivante et s’installe dans les combles du palais de justice où, chaque jour, plusieurs dizaines de personnes sont ainsi mesurées et photographiées. En 1900, le répertoire est constitué de plus de 5 millions de fiches. Sa méthode ne va pas être étendue à toute la France, bien qu’elle ait, par exemple, été reprise à Lyon.

Les limites de la méthode et l'avènement de la dactyloscopie

La méthode de Bertillon n’est pas infaillible et conduit à un certain nombre d’erreurs et approximations. La dactyloscopie, le procédé d’identification des empreintes digitales mis au point par l’anthropologue britannique Francis Galton, est étudiée à Lyon par Edmond Locard. Bertillon, sûr de sa méthode, y demeure longtemps opposé. “On assiste à un affrontement entre l’école lyonnaise et l'école parisienne”, remarque le médecin légiste.

En 1902 pourtant, c’est Alphonse Bertillon qui est à l’origine de l’arrestation d’Henri-Léon Scheffer, le premier meurtrier confondu par ses empreintes digitales. Mais malgré cela, Bertillon reste persuadé de la supériorité du “bertillonnage”. “Ses techniques vont être utilisées jusqu’à sa mort, sa dernière grande affaire sera celle de la bande à Bonnot, mais sa méthode disparaît avec lui. Les fiches restent mais la dactyloscopie est alors le standard et s’impose véritablement comme comme l’outil d’identification incontournable”, explique le Dr Marc.

Ce dernier conclut toutefois en rappelant que les méthodes actuelles de reconnaissance faciale doivent beaucoup à Alphonse Bertillon, “sa technique avait ses limites, c’est vrai, mais les procédés d’identification visuelle utilisés aujourd’hui sont dérivés de Bertillon. Grâce à l'intelligence artificielle, on est capable d’identifier une personne au milieu d’une foule dans un aéroport”. Les rapprochements effectués manuellement à l'époque par Bertillon et ses équipes le sont aujourd'hui par ordinateur. Mais il s'agit toujours d'identifier une personne à partir d'une base de données, en s'appuyant sur les traits de son visage et des données anthropométriques.

Merci au Dr Bernard Marc, médecin légiste, chef de service Urgences Médico-Judiciaires / Grand Hôpital de l’Est Francilien, responsable de l’Unité de médecine légale de proximité du Groupe Hospitalier Oise Nord-Est. Historien des sciences et auteur de l'ouvrage "Le sang, le crime et le pouvoir : Les crimes politiques en France au début du XXe siècle examinés au scalpel" (MA Éditions, 2024)

Pour aller plus loin :

  • Seine de crime, sous la direction de Philippe Charlier (Éditions du rocher, 2015)
  • Le criminel de face et de profil. Alphonse Bertillon, père de l'identité judiciaire. Richard Marlet (AFITT EDITIONS, 2025)

Source : https://www.geo.fr