Vidéosurveillance intelligente : les usages controversés du logiciel Briefcam
Une centaine de villes en France utiliseraient aujourd’hui le logiciel d’analyse d’images Briefcam, au centre d’une polémique depuis la publication d’un article sur son utilisation dans la police nationale. Explications.
A la lumière de la récente jurisprudence administrative, l’utilisation de Briefcam se révèle désormais au grand jour. Après une première injonction à cesser le recours à ce logiciel de vidéosurveillance automatisée et deux rejets prononcés par des tribunaux administratifs, le Conseil d’Etat vient finalement de donner un premier “la” juridique, le 21 décembre dernier.
La plus haute juridiction de l’ordre administratif a finalement donné raison à la communauté de communes cœur Côte Fleurie (Calvados). Faute de situation d’urgence particulière, l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Caen a été retoquée. Quasiment un mois plus tôt, le 22 novembre, ce dernier avait enjoint la collectivité territoriale à arrêter son utilisation du logiciel Briefcam et à effacer les données collectées en raison “des risques pour les droits et libertés fondamentaux des personnes et la préservation de leur anonymat”.
Plaques d’immatriculation et statistiques
Autant de procédures qui ont permis d’en savoir plus sur l’usage réel de ce logiciel par les collectivités territoriales. La CC cœur Côte Fleurie a ainsi assuré ne pas pouvoir – ni vouloir – mettre en œuvre la controversée fonctionnalité du logiciel : la reconnaissance faciale. Ce fragile programme – il n’est plus en état de marche à la suite des opérations effectuées après la première ordonnance – sert plutôt à compter les flux de circulation sur les grands axes routiers et à répondre aux réquisitions judiciaires à des fins de recherche de plaques d’immatriculation.
A Nice (Alpes-Maritimes), le juge des référés remarquait que le logiciel avait seulement été utilisé à titre expérimental lors de l’Euro 2016 de football et du carnaval en 2019. La ville de Roubaix (Nord) avait également signalé ne pas avoir activé la fonction de reconnaissance faciale. Elle précisait à la justice administrative n’utiliser le logiciel que pour des recherches a posteriori de plaques d’immatriculation sur réquisition judiciaire. Soit, en tout, seulement 23 recherches au cours de l’année écoulée, une utilisation validée par la Cnil lors d’un contrôle en avril 2023.
Booster ou fuite en avant ?
Selon ses partisans, l’utilisation des algorithmes pour détecter des objets ou des comportements suspects est censée booster la vidéosurveillance. Ce type de logiciel est généralement vendu aux collectivités territoriales moyennant « un forfait annuel d’une centaine d’euros à 1 000 euros par caméra », compte François Mattens, directeur des affaires publiques de XXII, une société française spécialisée dans l’analyse vidéo.
Ses détracteurs estiment au contraire qu’il s’agit avant tout de la fuite en avant technologique d’une solution sécuritaire qui n’a toujours pas démontré son efficacité. Un débat ancien ravivé par un article de Disclose. A la mi-novembre, le média d’investigation signalait qu’une centaine de villes en France utilisaient Video Synopsis, son programme d’analyse d’images.
Mais Disclose pointait surtout une utilisation illégale depuis 2015 par la police nationale. Ce même logiciel permettrait d’analyser les visages, alors que le recours à la reconnaissance faciale vient d’être écarté pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Dans la foulée, la Cnil annonçait le lancement d’une procédure de contrôle du ministère de l’Intérieur, tandis que le locataire de la Place Beauvau, Gérald Darmanin, demandait une enquête administrative interne.
Fausses alertes
Cette controverse avait entraîné le lancement de plusieurs actions en référé contre des collectivités territoriales. Elles étaient portées par la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale Solidaires, l’Association de défense des libertés constitutionnelles et le Syndicat des avocats de France. Ces organisations pointaient dans leur recours une dissimulation de l’usage, par des collectivités territoriales, de cette solution basée sur l’intelligence artificielle. Elles s’inquiétaient également des risques d’atteinte grave au respect de la vie privée, par exemple en identifiant des personnes physiques grâce à leurs vêtements ou en les suivant de manière automatisée.
Controversée, cette technologie doit encore faire ses preuves. A Perpignan (Pyrénées-Orientales), le logiciel n’a ainsi qu’une poignée d’usages, assure à « La Gazette » Philippe Rouch, autour du comptage de personnes lors de manifestations ou de véhicules sur la voirie. « Je voulais m’en servir pour repérer les dépôts sauvages, mais cela ne marche pas, la technologie n’est pas encore au point », remarque le directeur de la police municipale. « En démonstration, cela marche très bien. Mais quand on l’utilise vraiment, il y a plein de fausses alertes et cela détourne l’attention de l’opérateur. »
Références : Conseil d'Etat, 21 décembre 2023, req. n°489990.
Source : https://www.lagazettedescommunes.com