Les conséquences du rachat de la filiale de biométrie Safran Identity and Security par Oberthur Technologies
Septembre 2016 est marqué par le rachat de la filiale biométrique de Safran, Safran Identity & Security par le groupe Oberthur Technologies au détriment de Gemalto.
Ce rachat apparaît comme un dossier sensible compte tenu du secteur concerné et de l’époque dans laquelle nous vivons. En effet, le secteur de l’identité et de la sécurité est un secteur stratégique pour l’industrie française. Pour ne pas se voir vampiriser les savoirs fairs acquis, l’Etat a souhaité être au cœur des négociations étant lui-même actionnaire de Safran. L’intervention de l’Etat est motivée par le contexte de crise actuel (la lutte contre le terrorisme, les trafics d’armes, de drogues, d’êtres humains…) et ne voulant reproduire le cas de Gemplus, racheté par un fond étranger. Le savoir-faire français en termes de biométrie doit rester sur le territoire français afin de garder la main sur ce secteur stratégique.
Présentation du Groupe Safran
Le groupe Safran est un acteur historique du secteur aéronautique et de défense sur le territoire français, c’est pourquoi dès l’annonce de la vente d’une de leur filiale, Safran Identity & Security, les acteurs économiques nationaux et internationaux se sont mobilisés. Rappelons que le groupe Safran emploie près de 70 000 personnes et qu’il a généré un chiffre d’affaires de 17.4 milliards d’euros en 2015. Ce dernier est composé d’un ensemble de filiales qui évoluent dans un cœur de métier similaire (aéronautique, espace, défense) et à forte valeur ajoutée dans lequel les technologies sont particulièrement développées. Au fil de ses politiques stratégiques, le Groupe Safran s’est progressivement recentré dans ses secteurs historiques de l’aéronautique puis de l’aérospatiale. Comme le montre le graphique ci-dessous, son chiffre d’affaires se répartit essentiellement dans l’aéronautique et l’espace (82 %). La défense et la sécurité ne représentent qu’une faible partie de son chiffre d’affaires.
En effet, ce grand groupe français spécialiste de l’aéronautique et spatiale possède des filiales tout le long de la chaîne de production, entraînant un engouement certain pour ses activités, aussi bien de la part de ses concurrents, mais aussi de l’État français étant actionnaire. Il nous a alors apparu intéressant de traiter le dossier concernant le rachat de leur filiale biométrique par le groupe Oberthur Technologies et d’en analyser les tenants et les aboutissants. Sachant que cette filiale évolue dans un cœur de métier distinct du reste du groupe, néanmoins son secteur à forte valeur ajoutée possède un potentiel grandissant d’où l’engouement des acheteurs.
A l’aide du schéma ci-dessus, nous pouvons observer l’ensemble des filiales du groupe Safran ainsi que leur changement de nom récent. En effet, ce changement de nom découle de la volonté de Safran d’accroître la notoriété du groupe sur ses marchés nationaux et internationaux, mais aussi de rendre plus clair les activités propres à chaque filiale du groupe. Cette stratégie montre la volonté de Safran de se développer au niveau mondial en exposant l’ensemble de ses activités clairement et afin de communiquer d’une seule et même voix sous un nom et logo proche.
De plus, afin de bien comprendre dans sa globalité notre sujet, il nous a semblé essentiel d’établir un état de l’art du marché biométrique français mais aussi mondial. Ce marché possède un potentiel financier exponentiel (confère graphiques ci-dessous) dû à la demande de plus en plus forte en matière de sécurité et d’identification, il attire donc de nombreux acteurs économiques de par le monde à s’intéresser à cette vente qu’effectue Safran.
Concernant le marché biométrique, plusieurs tendances sont données, celui-ci est dominé à plus de 50% par les empreintes digitales suivies par la reconnaissance faciale avec un peu plus de 11%.
La croissance de l’industrie biométrique se fera en grande partie à l’aide du développement des pays émergents dont la demande ne cesse de croître. Pour appuyer notre propos, nous pouvons prendre l’exemple de Safran I & S qui a obtenu un marché en Inde (Aadhaar) dont l’objectif était de donner une identité digitale à chaque Indien, ils ont ainsi réussi en 6 ans à donner plus d’1 milliard d’identités, ce qui est particulièrement colossal.
Concernant le futur de ce marché, ce sont les applications judiciaires ainsi que celles du secteur public qui vont tirer le chiffre d’affaires vers le haut. Depuis l’explosion des nouvelles technologies de l’information et de la communication, les Etats font face à une recrudescence des fraudes liée à un manque d’identification des personnes, ces fraudes entraînent un énorme manque à gagner (exemple au États-Unis cela représente environ 30 milliards de dollars par an) de la part des Etats qui sont aujourd’hui demandeurs de ce type d’applications.
En France, dans ce marché, les autorités se saisissent des enjeux économiques mais aussi éthiques. Des propositions de loi ont déjà été adoptées par la Commission européenne notamment concernant les visas. De plus, elle a donné son accord pour que des technologies de cette nature soient utilisées au sein des futurs passeports européens, même si une certaine réticence aux systèmes biométriques persiste. Ils sont principalement utilisés encore aujourd’hui pour des applications militaires, bancaires ou sécurité des entreprises, mais peu dans la vie quotidienne des Français. Toutefois, les fabricants de téléphones mobiles tendent à démocratiser la biométrie en intégrant des verrouillages à l’aide des empreintes digitales.
Nous pouvons ainsi nous demander quels sont les aspects stratégiques sous-jacents au rachat de Safran Identity & Security par Oberthur détenus par un fond d’investissement américain ?
Pour y répondre, notre exposé sera formulé comme suit, dans un premier temps les conditions du rachat de Safran Identity & Security pour ensuite nous intéresser aux ambitions stratégiques d’Oberthur Technologies.
1. Les conditions du rachat de Safran Identity & Security
Dès la création de la dénomination “Safran” en 2010, le groupe décide de céder sa filiale de biométrie Safran Identity & Security. Filiale qui pèse 10 % du chiffre d’affaires du groupe leader mondial dans l’identification numérique et connectée du citoyen. Anciennement “Morpho”, la filiale a pour vocation l’identification civile et la sécurité de documents numériques et publics. Ainsi elle s’est imposée sur le marché de la biométrie. La biométrie signifie littéralement “mesure du vivant”, elle a un lien avec l’étude quantitative des êtres vivants, aujourd’hui, elle peut se définir comme “l’ensemble des procédés de reconnaissance, d’authentification, d’identification d’une personne par certaines de ses caractéristiques physiques ou comportementales.” Safran I & S est spécialisé dans les trois technologies biométriques majeures à savoir la reconnaissance par les empreintes digitales, la reconnaissance faciale et celle de l’iris. Les enjeux importants de la biométrie sont la protection et le respect de la vie privée par la confidentialité des données des utilisateurs à l’aide de vérification d’identité et d’authentification. Safran I & S a toujours su adapter ses politiques stratégiques pour évoluer et rester leader dans ce marché international de technologies de pointe.
A) Les spécificités et les origines de Safran Identity & Security
Stratégie d’internationalisation de Safran Identity & Security
Créée en 1982, Morpho est une entreprise, filiale du groupe Safran depuis 2007, elle développe des solutions et des produits dans la sécurité de documents et l’identification civile.
Grande filiale industrielle de renommée mondiale, Safran I & S a généré 1.6 milliard d’euros en 2015 et emploie 7 800 personnes dans plus de 50 pays. C’est en finalisant l’acquisition de L-1 Identity & Solutions que Safran I & S est devenu numéro un dans l’identification biométrique depuis 2008. La stratégie de Safran I & S réside dans un rythme de croissance organique, mais surtout de croissance externe grâce aux investissements réalisés par Safran dans la sécurité avec d’autres acquisitions en 2008 de Sdu-Identification, Printrak, GE Homeland Protection. Le groupe industriel a également racheté les 19 % de Morpho Detection détenus jusqu’ici par Général Electric. La stratégie de développement a permis à Morpho de s’internationaliser et de s’adapter à un monde dans un contexte de guerre économique depuis sa création en 1982. Actuellement, la filiale est implantée dans les pays développés et les pays émergents afin d’être toujours au plus près des besoins de ses clients dans exactement 57 pays sur tous les continents (Europe, Amériques, Afrique et Moyen-Orient et Asie Pacifique). En 2015, la filiale leader dans le marché réalise un chiffre d’affaires de 1.6 milliard, soit 10 % du chiffre d’affaires de Safran. Elle est la seule société à maîtriser toute la chaîne de sécurité dans les documents d’identité biométriques, les systèmes d’identification biométriques automatisés pour les empreintes, l’iris et le visage, les systèmes de détection d’explosifs destinés aux bagages enregistrés, les terminaux de jeux et paris, les cartes à puce, les équipements de détection de traces. La stratégie d’internationalisation s’impose comme une stratégie de développement mondial bâtie sur un double objectif : proposer des produits à l’international tout en assurant une présence locale afin de mieux répondre aux besoins des clients pour la sécurité des documents. Cette stratégie de croissance est telle que Safran I & S est encore une fois l’unique industriel capable de produire l’ensemble de ces technologies.
Safran Identity & Security: leader sur le marché de la biométrie
Safran I & S, leader sur le marché de la biométrie est positionné sur 6 axes stratégiques qui portent :
- sur l’innovation en priorité en adéquation avec le nouveau paradigme du développement durable,
- sur l’atteinte de l’excellence dans la sécurité et la protection des personnes et des biens,
- sur une culture forte d’intégrité dans le groupe,
- sur l’intégration des fournisseurs et partenaires,
- sur la valorisation du potentiel humain,
- sur la garantie du meilleur échange avec les parties prenantes.
En effet, les parties prenantes regroupent d’une part les salariés, les organisations syndicales (interne), et d’autre part, les sociétés civiles, les partenaires d’affaire, les partenaires publics, les observateurs (externes).
Cette filiale qui conçoit des produits et des services de haute technologie à très forte valeur ajoutée, a entamé une démarche de RSE (Responsabilité Sociétale d’Entreprise) afin de répondre aux attentes de ses clients, mais aussi de toutes les composantes de la société. Cette démarche de RSE permet à Safran I & S d’appliquer une approche responsable qu’il s’agisse de ses employés, de l’environnement ou de la société dans son ensemble en se conformant aux réglementations. Pour rester leader sur le marché des technologies de la sécurité, le groupe a aussi entamé une nouvelle organisation en 2011 pour mieux s’adapter à son environnement économique, industriel et concurrentiel très évolutif. L’objectif étant de favoriser la politique d’innovation très forte de la filiale avec des activités de Recherche et Développement qui s’appuient donc sur cette organisation à la fois robuste et souple. Safran I & S peut aussi s’appuyer sur l’image d’expertise de Safran pour favoriser les partenariats dans la recherche en amont avec par ailleurs Orange Cyberdefense, Interpol et des écoles d’ingénieurs. En effet, Safran s’appuie sur la méthodologie Lean-Sigma pour mettre en œuvre l’amélioration continue et accompagner les démarches d’innovation continue et de maîtrise de l’environnement comme source de facteurs clés de succès.
Après avoir identifié Safran et ses secteurs d’activité, nous avons pu déceler les stratégies de croissance interne de Safran I & S en commençant par la stratégie d’internationalisation et la stratégie d’acquisitions et de fusions. Safran I & S est un véritable acteur stratégique dans le secteur de la sécurité et de l’identification.
B) Les raisons de la victoire d’Oberthur Technologies
Dans cette sous-partie, nous aborderons les conséquences de ce rachat ainsi que les raisons de cette vente par Safran à Oberthur Technologies.
L’une des principales raisons pour laquelle le groupe Safran a souhaité céder sa filiale Safran Identity & Security est que ce dernier souhaite se concentrer sur ses secteurs d’origine notamment sur l’aéronautique, l’aérospatiale et la défense. De plus, il est avancé que le taux de rentabilité de Safran Identity & Security n’a pas atteint le niveau souhaité de 20 %. Il est important de rappeler que cette filiale biométrique réalise seulement 10 % du chiffre d’affaires total de l’entreprise. Les investissements successifs comme le rachat d’entreprise pour développer cette filiale ne lui ont pas permis de prendre une place plus importante au sein du groupe, cause de sa vente aujourd’hui.
Remarquons qu’à travers les deux graphiques ci-dessous, que l’acquéreur de cette filiale, Oberthur Technologies, a réalisé un chiffre d’affaires en 2015 inférieur à celui de la filiale qu’il rachète. De plus, son effectif en 2015 est également moindre. L’acquisition de cette filiale va donc lui permettre d’accroître sa position dans ce secteur de manière considérable.
Les principales raisons de cette vente
Pour comprendre la vente de Safran Identity & Security, Philippe Petitcolin, directeur général du groupe Safran, explique qu’il faut regarder l’histoire de cette dernière. Safran Identity & Security, anciennement Morpho Systèmes, appartenait au groupe Sagem spécialisé dans le secteur sécurité, notamment dans la biométrie. Puis en 2005, le groupe Sagem fusionne avec Snecma. Tous deux appartenant au groupe Safran. Ce dernier investit alors massivement dans sa nouvelle filière, à savoir Safran Identity & Security. En effet, le groupe Safran souhaite diversifier ses activités et ne plus faire reposer leur chiffre d’affaires uniquement sur les secteurs historiques connus. Il rachète par exemple l’imprimerie nationale hollandaise pour produire des documents d’identité afin d’acquérir de nouvelles compétences dans ce domaine porteur. Il rachète également des activités aux Etats-Unis dont le marché est exponentiel en termes de retombées financières. Cependant, les activités américaines étant considérées comme sensibles, l’Etat américain leur a imposé leur conseil d’administration afin de contrôler les décisions stratégiques.
Néanmoins, face au développement du digital et du numérique, le conseil d’administration de Safran a considéré que le groupe n’était pas en mesure de développer ces compétences en interne et que ce domaine s’éloignait des secteurs historiques du groupe. Il a donc souhaité confier ce projet industriel à des acteurs externes du groupe au regard d’un certain nombre de critères pensant que ces acteurs étaient plus à même de développer ce domaine d’expertise.
Pourquoi Oberthur Technologies ?
A l’annonce de la vente de Safran Identity & Security, cinq candidats figurant dans le tableau ci-dessous ont fait part de leur offre au groupe Safran. Ce dernier a confié ces offres à des banques-conseils avec lesquelles il travaille habituellement (Lazard, Société générale, Athena).
Après avoir étudié les différentes offres des acquéreurs, Safran et dans une moindre mesure l’Etat français, ont considéré que le groupe Oberthur Technologies remplissait le plus grand nombre de critères et garanties demandées. Le futur acquéreur devait être, par exemple, en capacité de conserver les emplois en France, de laisser les centres de production, de Recherche et Développement ainsi que le siège social en France, et de fournir des garanties sur les technologies souveraines telles que les passeports biométriques et la vérification d’ADN. Il se trouve qu’Oberthur Technologies a pu répondre à ces prérequis et son offre de 2.4 milliards d’euros pour le rachat de Safran I & S est jugée raisonnable. Il a par exemple à travers une lettre adressée au gouvernement français affirmé qu’il préserverait les postes de Safran Identity & Security sur le territoire français pendant au moins 3 ans, condition très importante dans le rachat de Safran I & S, que l’autre acquéreur Gemalto n’aurait pas pu garantir. Dans cette même lettre, il a affirmé également qu’il conserverait le siège social en France. En garantissant ces différents points, Oberthur Technologies a ainsi obtenu le soutien du syndicat CFDT.
Par ailleurs, dans un communiqué, le groupe Safran précise que « le projet industriel consiste à rapprocher Safran I & S d’Oberthur Technologies pour créer un champion mondial des technologies de l’identification avec une forte implantation en France, notamment son siège social (à Colombes), des activités de Recherche et Développement de pointe et des capacités de production clés ».
Du fait qu’Oberthur Technologies soit mieux placé en termes de projet industriel, il est en capacité de préserver les emplois au sein de cette filière. Ainsi, Safran a estimé que les conditions étaient davantage réunies en faveur d’un rachat par Oberthur Technologies. L’offre de ce dernier a donc été considérée comme la “mieux-disante” en termes de prix, d’emploi, de sites industriels et de concurrence. Dans la même logique et du fait du secteur stratégique dans lequel Safran I & S exerce ses activités, Oberthur technologies, c’est associé à la Bpifrance sous demande de l’Etat. Le rôle de cet investisseur dans le nouvel ensemble sera à terme de faire entrer en bourse ce dernier, mais aussi de garantir les intérêts français à l’aide de droits de gouvernance dus à sa participation. La transaction entre le groupe Safran et Oberthur Technologies devrait s’opérer courant septembre 2017.
Par ailleurs, nous pouvons ajouter que cette vente représentait également un enjeu majeur pour les Etats-Unis. En effet, Safran Identity & Security détient l’exclusivité du permis de conduire dans environ 40 Etats américains. Gemalto en a l’exclusivité dans les 10 autres. Par conséquent, si ce dernier avait acquis Safran Identity & Security, il aurait eu 100 % du marché et aurait acquis une position de monopole, contraire aux principes de concurrence. C’est pourquoi, selon Pierre Méhaignerie, maire de Vitré, « Si Morpho avait été rachetée par Gemalto, l’autre candidat, dont le siège social est aux Pays-Bas, il y avait un risque de déséquilibre industriel qui, à terme pouvait fragiliser l’avenir d’Oberthur Technologies ».
Conséquences pour le groupe Safran
Après une longue période d’acquisitions et de fusions, Safran s’est concentré dans des secteurs stratégiques comme l’aéronautique, l’aérospatiale (propulsion, équipements), la défense et la sécurité. Le groupe souhaite continuer de développer sa société au niveau organique. Par exemple, 500 millions d’euros ont été investis dans le domaine de la recherche et de la technologie (process, architectures, matériaux, des nouveaux types de production (3D manufacturing), Safran Analytic (utilisation de data), etc). Cependant, il existe des conséquences dans la cession de Safran I & S.
Dans un premier temps, la cession risque par la suite d’affaiblir l’offre numérique française. En effet, depuis 1980, de plus en plus d’acteurs se concentrent sur leur cœur de métier et on assiste donc à la disparition progressive d’activités annexes. Par ailleurs, cette cession signale l’internationalisation du secteur de l’identité numérique, historiquement français, au profit d’intérêt pour partie américain. Si le secteur de la biométrie migre hors des frontières françaises, le risque est de réduire sa capacité d’innovation. Safran est le leader mondial de l’identité et dispose d’un réseau d’influence considérable notamment dans les pays subsahariens parfois peu propices aux nouveaux entrants. Mais le rachat sous capitaux américains de Safran I & S peut conduire à une perte de savoir-faire et d’influence française. En actant cette future vente courant 2017, la France peut risquer de se priver de partenariats internationaux dans la conquête de nouveaux marchés en expansion (ex : explosion démographique asiatique et africaine). Ces conséquences pourront alors impacter Safran, et notamment toucher la croissance organique de ce dernier. La stratégie du groupe de céder Safran I & S revient au final à développer la croissance du chiffre d’affaires générée par l’augmentation de ses parts de marché et par son implantation sur de nouveaux marchés. Son recentrage stratégique revient à mettre en vente des activités qui ne sont plus les domaines d’activités stratégiques et historiques du groupe. Le marché de l’aéronautique étant en plein essor et à forte valeur ajoutée offre à Safran une position de leader qui se renforce avec les nombreuses acquisitions-fusions et cession d’activité annexes.
Après avoir analysé les raisons pour lesquelles Oberthur Technologies et donc Advent International ont remporté cet appel d’offres, nous tâcherons de présenter ces deux entités de manière plus approfondie afin de faire émerger leurs stratégies.
2. Oberthur Technologies : un acteur en pleine expansion
Il nous paraît essentiel d’établir une carte d’identité d’Advent International et d’Oberthur Technologies afin de déceler les intentions du futur acquéreur de Safran Identity & Security. Ces deux présentations permettront ainsi de comprendre d’une part leurs activités, et d’autre part de savoir à qui appartiennent ces sociétés. Il est important d’analyser lors du rachat d’une entreprise les acteurs acquéreurs ainsi que les ramifications existantes afin d’appréhender au mieux les ambitions stratégiques explicites, mais surtout implicites et les conséquences de celles-ci que nous allons développer dans la prochaine sous partie.
A) Présentation d’Oberthur Technologies/Advent International : descriptif de l’entreprise et chiffres clés
Présentation d’Oberthur Technologies
Oberthur Technologies, entreprise française est une des descendantes de l’imprimerie Oberthur, fondée en 1842.
Fin 2011, Advent International (que nous présenterons dans le paragraphe suivant) devient actionnaire majoritaire de la société. C’est en 2007 que les activités des entreprises Oberthur Card Systems, François-Charles Oberthur Fiduciaire et Oberthur Cash Protection, toutes possédées par la famille Savare, fusionnent en une seule unité, Oberthur Technologies. Le groupe sera alors divisé en 4 divisions, la division card systems, la division identité, la division fiduciaire, la division cash protection. Depuis 2015, Oberthur Technologies se compose de 4 “business units” : Paiement, Télécom, Identité et Solutions.
Actuellement, la société est implantée dans 50 pays et emploie plus de 6 500 personnes. En 2015, son chiffre d’affaires atteint 1.157 milliard d’euros ce qui le place deuxième derrière Gemalto sur le marché des cartes à puce. Tel que Safran I & S, le groupe a aussi entamé une stratégie d’internationalisation avec une politique d’innovation très forte dans les nouvelles technologies pour fournir des offres à haute valeur ajoutée. Oberthur Technologies applique des politiques d’acquisitions et de fusions partout dans le monde, ce qui lui apporte des avantages dans la proximité avec l’ensemble de sa clientèle. En août 2014, le groupe a fait l’acquisition de l’industriel NagraID Security, un spécialiste des cartes d’affichage dynamique. C’est l’unique producteur de cartes avec un affichage dynamique qui va s’adresser à la clientèle des banques et qui réduit sensiblement les fraudes dans les transactions de paiements. Le PDG d’Oberthur Technologies, Didier Lamouche, s’est exprimé “Je suis convaincu que OT est au bon endroit au bon moment” et que “Nous sommes l’une des rares entreprises capables de fournir une technologie de sécurité numérique de classe mondiale intégrée dans n’importe quel environnement – papier, plastique, dispositifs mobiles, ordinateurs portables, nuage – pour toute solution de bout en bout. Avec le soutien d’Advent, nous mettons en œuvre notre stratégie et sommes bien positionnés dans une industrie dynamique et en pleine expansion”.
Présentation d’Advent International
Advent International est un fond d’investissement américain, actionnaire majoritaire de la société de portefeuille de private equity et futur acheteur de Safran I & S. Créée en 1984, Advent gère 42 milliards d’euros d’actifs à travers le monde. Avent International est spécialisé dans le rachat de compagnies européennes, américaines et asiatiques. Depuis sa création, 31 milliards ont été investis dans des entreprises de différents secteurs. Il fait notamment partie des 10 plus gros fonds d’investissements mondiaux et possède un attrait particulièrement fort pour l’Europe. Par exemple, le groupe a déjà acquis l’enseigne Nocibé par l’intermédiaire du groupe allemand Douglas. Grâce à ses nombreux investissements, Advent possède des antennes dans 10 pays différents dont une en France qui est dirigée par Cédric Chateau. C’est ainsi, qu’en 2015, Advent a racheté le groupe Oberthur technologies pour 1.15 milliard d’euros à la famille Savare. A l’heure actuelle, le groupe a désormais plus de 390 employés et plus de 190 professionnels en placement. Advent International suit toujours son mouvement et dit vouloir poursuivre “sa stratégie”, c’est-à-dire investir essentiellement en Europe, ainsi qu’en Amérique du Nord et de manière plus sélective en Asie et en Amérique Latine. Cette stratégie d’acquisition est concentrée sur 5 secteurs, le service aux entreprises et les services financiers, la santé, l’industrie, les biens de consommation, la technologie, les médias et les télécoms.
Après avoir établi ces deux fiches d’entreprises, nous avons pu voir qu’Oberthur Technologies, société française, est détenue par le fond d’investissement américain Advent International. Nous allons désormais nous intéresser aux ambitions stratégiques de ces deux entités économiques.
B) L’émergence d’une nouvelle puissance dans le secteur de la sécurité et de l’identification
Courant 2017 se déroulera la vente de Safran I & S au groupe d’Oberthur Technologies acquis par le fond Advent International au prix de plus de 2.4 milliards d’euros. La cession finalisée après que l’opération ait été soumise aux autorisations réglementaires européennes et américaines, Safran I & S fusionnera avec Oberthur Technologies pour “créer un acteur de rang mondial sur le plan technologique, industriel et commercial” d’après le directeur général de Safran, Philippe Petitcolin. Quel aspect stratégique de ce rachat et quel impact sur le marché du duopole peut-on attendre ? Rappelons que Safran I & S dispose d’une forte implantation aux Etats-Unis notamment dans le marché des permis de conduire. Le rachat quasi-acté de Safran I & S signale, d’une part l’internationalisation de l’identité numérique, historiquement française, au profit d’intérêts pour parti américains. Ainsi, l’achat d’une entreprise française par un fond d’investissement américain, Advent International, donne la possibilité de réguler un marché où l’innovation est coûteuse. En outre, le choix de ce fond d’investissement américain par Safran a été motivé par la préservation d’une concurrence exacerbée sur le marché américain où le leader en sécurité numérique Gemalto (groupe franco-néerlandais), leader mondial de la carte à puce, domine l’autre partie du marché. Ce rachat reste en adéquation avec cette même logique de coopération entre Gemalto et Oberthur Technologies. L’objectif de cette alliance (Secure Identity Alliance) est “de soutenir la croissance de l’industrie mondiale tout en se concurrençant afin de garantir un haut niveau de qualité et de diversité dans ses solutions, grâce à des produits et des services différenciés au bénéfice des Etats et des citoyens” explique Olivier Prestel, Directeur Général de la Business Unit Identity de Oberthur Technologies. Cette alliance correspond parfaitement au principe de “coopétition”, alliance de coopération dans la recherche et développement, et de concurrence sur les applications finales des parties prenantes. La création d’un duopole de la biométrie et de la sécurité a donc été privilégiée au lieu de renforcer le leader Gemalto s’il venait à racheter Safran I & S. Gemalto et Safran I & S offraient également des produits similaires, ensemble, ils auraient été dans une position dominante qui aurait déplu aux autorités anti-trust pouvant rallonger considérablement la transaction. La présence de Bpifrance a aussi été stratégique dans le rachat de Safran I & S, celle-ci sera actionnaire dans le nouvel ensemble dû à la volonté de l’Etat français. Le fond d’investissement français va d’ailleurs investir environ 10 % dans la nouvelle fusion des activités entre Safran I & S et Oberthur Technologies. L’intervention de l’Etat est justifiée par le fait que celui-ci est actionnaire à 15 % de Safran. Le gouvernement exige que le siège et les centres de Recherche et Développement de même que les emplois soient maintenus dans l’Hexagone. Les négociations autour du rachat de Safran I & S ont impliqué une armée de consultants officiels et de l’ombre, de puissants lobbyistes tels que Image 7 ou encore Havas, acteurs déterminants dans le résultat final. Ces actions d’influences et de pressions sont ainsi au cœur des décisions stratégiques comme celle du rachat de Safran I & S pour faire face aux défis économiques et géopolitiques dans les secteurs de la haute technologie.
Conclusion
A travers l’étude de ce rachat, nous avons pu percevoir dans un premier temps l’aspect stratégique de ce secteur d’activité pour l’ensemble des pays confrontés à des problèmes de nature sécuritaire et identitaire. Le secteur biométrique est en pleine expansion, mais très sensible dû au contexte géopolitique actuel d’où notre attrait pour ce rachat. Nous avons pu d’une part, identifier à l’aide de nombreuses sources les raisons de cette cession par le groupe Safran, et d’autre part, les intérêts implicites du fond d’investissement Advent et plus largement de l’État américain. Le risque majeur pour le marché biométrique était l’éventuelle constitution d’un monopole si Gemalto remportait cet appel d’offres. En effet, Gemalto étant le leader sur le marché des cartes à puce avait montré son intérêt pour cette filiale de Safran. Cependant, Oberthur Technologies principal concurrent de Gemalto a saisi l’opportunité d’accroître sa position sur le marché en prenant des engagements substantiels (limite financière, garantie d’emploi, localisation). Ces engagements lui ont ainsi permis de remporter l’appel d’offres émis par le groupe Safran et de consolider sa position sur le marché de la biométrie tout en intensifiant l’intensité concurrentielle. Avec ce rachat, la stratégie de développement entamée par Advent International semble être la création d’un champion mondial de hautes technologies sur un marché considéré comme porteur avec le développement d’énormes marchés comme celui de l’Asie. L’aspect sensible de ce rachat au niveau national a entraîné une vague d’intérêt de la part de l’Etat français, mais aussi de cabinets d’intelligence économique et de lobbying. Ne voulant pas reproduire les erreurs produites dans le cas Gemplus, un certain nombre de garanties ont été demandées de la part de l’Etat français comme par exemple l’introduction de la Bpifrance dans l’actionnariat de l’acquéreur. Ainsi, les hautes sphères politiques ont eu un rôle à jouer dans l’acceptation de l’offre d’Oberthur Technologies bien que d’autres acteurs considèrent ce rachat comme la perte répétée de pépites françaises aux profits d’intérêts américains.
Par Guillaume Brevet, Christophe Maudet et Alice Martinet, Master 2 IESC promotion 2016-2017
Webographie
http://www.biometrie-online.net/biometrie/le-marche
http://www.challenges.fr/finance-et-marche/safran-va-ceder-morpho-a-oberthur-advent_429843
http://www.lopinion.fr/edition/economie/rachat-morpho-and-the-winner-is-oberthur-111111
http://www.oberthur.com/fr/the-m-company/a-propos-d-ot/?nabt=1
http://www.safran-group.com/fr/media/20130513_3m-gemalto-morpho-safran-et-oberthur-technologies-creent-le-groupement-secure-identity-alliance
Source : https://master-iesc-angers.com