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Ce que votre voix révèle

Banques, médecins et enquêteurs analysent la voix humaine pour faciliter la traque de criminels ou diagnostiquer des maladies.

Certains établissements financiers croisent des enregistrements audio avec d’autres données biométriques ou comportementales dont ils disposent sur leurs clients afin d’empêcher la fraude parce que les escrocs répondent souvent aux questions de sécurité liées à la vie d’une proie plus rapidement que les vrais clients.
© Sipa Press

Le son de votre voix est en train de devenir une nouvelle forme d’empreinte digitale.

Une technologie de plus en plus sophistiquée, capable de détecter des nuances sonores inaudibles pour les humains, est en train de relever des indices sur le possible endroit où se trouve une personne, son état de santé, voire des caractéristiques physiques.

Les forces de police commencent à exploiter ces indices tirés de la voix humaine pour améliorer la réalisation des portraits-robots de suspects. Les banques les utilisent pour arrêter les fraudeurs qui essaient de se faire passer pour leurs clients au téléphone, et les médecins, enfin, utilisent ces données pour détecter les premiers signes d’une maladie neurodégénérative ou de dépression.

Tout en ouvrant de nouvelles possibilités aux professionnels de la santé, de la finance et du système judiciaire, cela pose aussi de nouvelles questions en matière de protection de la vie privée, alors que l’on trouve de nouvelles manières d’exploiter les données biométriques des consommateurs.

« Depuis des siècles, les gens savent que la voix véhicule des informations », observe Rita Singh, chercheuse spécialisée dans la voix et le machine learning à l’université de Carnegie Mellon et financée par le ministère américain de la Sécurité intérieure. « Ce n’est pas nouveau, mais il n’y avait jusqu’ici pas moyen de les extraire », dit-elle, ajoutant que c’est devenu possible aujourd’hui grâce à l’intelligence artificielle.

Mme Singh effectue des relevés d’une douzaine de traits caractéristiques de la voix – comme un râpement ou un tremblement – qui se rapportent à l’intérieur du tractus vocal d’une personne et à la façon dont la voix d’un individu est produite. Elle détecte également ces microvolumes d’air qui permettent de créer les ondes sonores qui constituent la voix humaine. La manière dont elles résonnent dans le tractus vocal et les autres caractéristiques de la voix livrent des indices sur la structure du crâne d’une personne, sa taille, son poids et son environnement physique, explique-t-elle.

Ses travaux permettent d’avoir un aperçu de ce vers quoi la surveillance et l’enquête se dirigent, un avenir où les forces de l’ordre pourront s’appuyer autant sur des contenus audio que vidéo. Certains établissements financiers utilisent déjà la voix humaine pour arrêter les fraudeurs.

Pindrop, une entreprise spécialisée dans la sécurité de l’information basée à Atlanta, étudie ainsi 1 380 paramètres audio dans trois catégories distinctes : les types de bruit repérés sur une ligne téléphonique, les caractéristiques de la fréquence de l’appel et la part de son qui est perdue par la transmission.

Ces éléments contiennent des indices sur l’origine probable d’un appel et s’il a été passé par internet, un téléphone portable ou une ligne fixe. Les appels provenant de l’étranger, en particulier de pays en développement, sont souvent moins clairs que ceux de pays avancés, même si cette différence est difficile à entendre à l’oreille.

Cette information permet aux banques et établissements financiers de vérifier si l’auteur d’un appel est bien celui qu’il prétend être.

Discover Financial Services reçoit ce qu’on appelle des « empreintes vocales » des appelants – et non des enregistrements de leur voix – et signale les fraudeurs connus. Si un escroc est repéré, une personne du service client peut demander à l’auteur de l’appel de lui donner un code qui a été auparavant envoyé sur un téléphone ou ordinateur qui appartient au vrai client.

Les pertes liées à la fraude, passées en dépenses d’exploitation, ont reculé de 10 % depuis que Discover a commencé à utiliser le système d’analyse vocale de Pindrop en 2015, affirme Daniel Capozzi, président des opérations de crédit et de la gestion de management chez Discover.

Les escrocs appellent de plus en plus les banques et utilisent des numéros de Sécurité sociale divulgués lors de piratages de données pour identifier des personnes fortunées. Ces opérateurs malveillants enquêtent ensuite sur des clients avec des comptes bancaires bien fournis, s’informent sur leur vie, proches et préférences avant de rappeler leur banque en se faisant passer pour ces derniers.

Certains établissements financiers croisent des enregistrements audio avec d’autres données biométriques ou comportementales dont ils disposent sur leurs clients afin d’empêcher la fraude parce que les escrocs répondent souvent aux questions de sécurité liées à la vie d’une proie plus rapidement que les vrais clients.

Basée à Burlington, dans le Massachusetts, la société de technologie logicielle Nuance Communications, qui a pour clients HSBC et Kennebunk Savings, dans le Maine, tient compte de facteurs comme le ton, le rythme et l’accent qui distinguent les paroles, ainsi que le vocabulaire employé, la grammaire et la structure des phrases.

Le logiciel de reconnaissance et de biométrie vocale de Nuance est conçu pour détecter le genre, l’âge et la culture linguistique d’un appelant, mais aussi repérer une voix synthétique ou enregistrée. Grâce à lui, une banque a déterminé qu’une seule personne était coupable du vol de dizaines de millions de dollars, soit 18 % de la fraude subie par l’entreprise en un an, affirme Brett Berankek, directeur de l’activité sécurité et biométrie de Nuance.

Les données audio tirées d’appels au service client sont croisées avec des informations sur les interactions habituelles d’un client avec leurs applications mobiles et terminaux, indique Howard Edelstein, président de l’entreprise de biométrie comportementale Biocatch. L’entreprise peut par exemple détecter la cadence et la pression mise lorsqu’on balaie ou tapote sur l’écran d’un smartphone.

La façon dont une personne tient un smartphone offre des indices sur son âge, par exemple, ce qui permet à un établissement financier de comparer l’âge du titulaire du compte à celui de l’appelant.

Les établissements financiers informent de manière très variable leurs clients sur les données vocales ou comportementales qu’ils collectent. Certaines entreprises demandent à leurs clients de donner leur consentement pour être enregistrés, tandis que d’autres indiquent simplement que les appels au service client sont enregistrés pour des questions de qualité ou de sécurité.

Certains Etats américains ont passé des lois de protection des données biométriques et d’autres y travaillent. Une loi de l’Illinois contraint ainsi les entreprises à obtenir un consentement explicite, par écrit, des clients pour collecter des données biométriques comme l’empreinte vocale ou la capture de l’image de l’iris.

Les associations de défense de la vie privée affirment que la collecte de données biométriques est invasive et pourrait amener les forces de police à des mauvaises conclusions. Certains redoutent que si ce type de données rassemblées par une entreprise étaient revendues de manière illégale ou piratées, il pourrait devenir plus difficile encore de se remettre d’une usurpation d’identité car les caractéristiques physiques sont innées et irremplaçables.

Dans le domaine médical, mesurer de légers changements dans la voix commence à aider les médecins à détecter les premiers signes de maladies comme celle de Parkinson ou à évaluer plus rapidement l’efficacité de certains traitements pour des maladies comme la dépression, affirment des chercheurs.

Basée à Boston, la société Sonde Health a demandé à plus de 4 000 personnes de télécharger une application sur leurs smartphones et de réagir à des commandes imaginées spécifiquement pour leur faire générer un grand nombre de sons différents. A partir de ces échantillons audio, les chercheurs ont identifié et regroupé des traits distinctifs comme le rythme, la mélodie ou l’articulation de mots par une personne.

Un débit plus lent, par exemple, pourrait être révélateur de fatigue ou de tristesse à un moment donné, mais, dans la durée, il pourrait être le signe de quelque chose de plus grave, indique le cofondateur de Sonde Health, Jim Harper.

Les données tirées de la voix ne sont pas encore solides pour qu’on puisse prendre une décision médicale en fonction d’elles seules, mais elles sont utilisées en complément dans le cadre d’essais cliniques pour des antidépresseurs, poursuit M. Harper.

La société Winderlight Labs, basée à Toronto, analyse des éléments du langage comme la syntaxe, la grammaire, la complexité du vocabulaire, le ton et le débit de paroles pour surveiller la santé mentale et les maladies neurodégénératives.

Winterlight travaille avec Janssen Pharmaceuticals pour essayer de détecter Alzheimer chez des patiens plus âgés. Certains de ces patients, par exemple, tendent à utiliser des mots qu’ils ont appris plus jeunes alors que leur mémoire récente se dégrade.

Source : https://www.lopinion.fr