La Carte Vitale biométrique a été votée au Sénat
Cette nuit, le Sénat a voté pour lancer la mise en place d’une carte Vitale biométrique à l’automne. Cette mesure réclamée de longue date par la droite et l’extrême droite, vise à lutter contre la fraude aux prestations sociales. La fraude sociale coûterait entre 14 et 45 milliards d’euros par an et il y a entre 2 et 5 millions de cartes Vitale actives de plus que d’inscrits à l’INSEE.
Dans l’idée, cette carte Vitale biométrique contiendrait notamment les empreintes digitales du titulaire. Elle sera donc plus difficile à falsifier.
« Lors de la création d’une carte Vitale, on rajouterait un processus de relevé d’empreintes digitales, qui seraient intégrées à la puce électronique de la carte pour la rendre moins falsifiable qu’une carte Vitale avec la seule photo d’identité », explique à RTL Pascal Brindeau, ancien député UDI qui avait préconisé la mise en place d’un tel outil en 2020.
Le Sénat a adopté un amendement prévoyant vingt millions d’euros pour « lancer le chantier » de la carte Vitale biométrique à l’automne. L’objectif est de lutter contre une fraude dont le coût fait l'objet d'âpres débats. Mais le projet connaît déjà des limites, et est pour l'instant loin d'aboutir.
Nicolas Sarkozy en parlait déjà en 2012 et le sujet est encore débattu dix ans après. Dans le cadre du vote de la loi de finances rectificative ce mardi 2 août dans la nuit, le Sénat – à majorité LR – a adopté un amendement prévoyant un budget de vingt millions d’euros pour permettre de « lancer le chantier » de la carte Vitale biométrique dès l’automne prochain. Grâce à cette technologie similaire à celle des nouvelles cartes d'identité, qui consiste à intégrer des données permettant de justifier de l’identité de l’assuré, l’objectif est d’accentuer la lutte contre la fraude aux prestations sociales.
« C’est un sujet clivant, mais les faits sont têtus et en l’occurrence bien réels. La fraude sociale n’est pas une indignation de droite, tout comme la fraude fiscale n’est pas une indignation de gauche », insiste la sénatrice UDI Nathalie Goulet auprès de Marianne, ajoutant qu’il y a encore « un nombre trop important de cartes vitales dues à des réseaux organisés ». Le sénateur LR Philippe Mouiller, à l’origine de l’amendement, déplore quant à lui une perte de l’ordre de « six milliards d’euros par an, selon l’estimation la plus basse » et regrette que « moyennant une trentaine d’euros, on puisse aujourd’hui s’acheter une carte Vitale sur internet ».
Ces chiffres font cependant l'objet de débats insolubles, tant il est difficile d'estimer le nombre de fausses cartes vitales en circulation. En 2019, un rapport des sénatrices Nathalie Goulet et Carole Grandjean (LRM) avançait le chiffre de 5,25 millions cartes en surnombre. L'année suivante, un rapport du député Patrick Hetzel (Les Républicains) évoquait plutôt 1,8 million de cartes litigieuses.
Des limites
Pour l’élu des Républicains, Philippe Mouiller, il s’agit de « développer une carte qui contient les empreintes digitales, afin d’être certain, après un contrôle, que la personne qui porte la carte en est bien titulaire ». Mais Nathalie Goulet qui travaille de longue date sur le sujet, voit pourtant des limites dans cette méthode. « C’est avant que doivent avoir lieu les contrôles, car la carte Vitale n’est qu’une résultante. Il y a des gens qui fournissent une fausse identité et dont les droits sont ouverts. On ne sait pas quelles données seront contenues dans les cartes. Il faudra donc réenrôler toute la population », explique-t-elle, plaidant plutôt pour un système « similaire à celui de la Belgique, où le numéro de la carte Vitale est identique à celui de la carte d’identité ».
Autre problème évoqué par Nathalie Goulet : le coût pour équiper les cabinets médicaux et pharmacies d’un nouveau terminal pour lire ces cartes biométriques. « C’est cher, d’autant que l’on va se heurter à des médecins qui ne se considèrent pas policiers et qui refuseront ainsi de procéder à des contrôles », affirme l’élue centriste. Un avis partagé par Gabriel Attal, ministre délégué aux Comptes publics, qui a considéré, au Sénat, que « l’enjeu essentiel est de recueillir l’adhésion » des professionnels de santé. « Ce sont les mêmes types d’arguments et critiques qu’on entendait lors de l’instauration de la carte Vitale actuelle », rétorque quant à lui Philippe Mouiller (LR).
Juste « un début »
À gauche, l’amendement a été vivement contesté, principalement en raison du budget de vingt millions d’euros, qui émane directement de l’Aide médicale d’État (AME). « Prendre des crédits qui sont faits pour soigner des gens afin de lutter contre la fraude sociale, ça n’a aucun sens », a dénoncé la sénatrice écologiste Mélanie Vogel lors des débats. Une critique que soutient d’ailleurs Nathalie Goulet (UDI), qui considère qu’il fallait « prélever cet argent ailleurs ». Philippe Mouiller (LR) « entend » ces indignations, mais tempère : « Cela représente 2 % de l’AME, dont le budget d’un milliard est par ailleurs toujours dépassé. »
De son côté, le camp présidentiel semble plutôt favorable à l’instauration de la carte Vitale biométrique, après s’y être pourtant opposé fin 2020, notamment en raison de la protection des données. « À l’époque, il y avait une expérimentation en cours avec les téléphones portables et ils désiraient attendre ses conclusions. Ce revirement est un signe politique envoyé à la droite, mais aussi la preuve d’une maturité atteinte sur la question », juge Philippe Mouiller, déjà à l’initiative de la proposition de loi à l’époque. « Nous sommes davantage prêts aujourd’hui. Et puis ce budget adopté n’est qu’un début. Le cahier des charges, la technique, la réglementation… Tout cela reste à développer. »
Une « mesure inutile »
« C’est de l’affichage politique », a commenté auprès de l’AFP Agnès Giannotti, présidente de MG France, premier syndicat de médecins généralistes. « La fraude sociale est souvent mise au premier plan alors que l’essentiel du problème n’est pas là, il est dans le ciblage de la pertinence des dépenses de santé ».
« Cela revient toujours à penser que ce sont les pauvres qui font le trou dans les dépenses alors que les grosses dépenses ne sont pas là », a ajouté le Dr Giannotti. « Cela va embêter tout le monde avec un gain totalement marginal par rapport aux dépenses de santé ».
Un « serpent de mer »
Pour Arthur Dauphin, chargé de mission numérique en santé au sein de France Assos Santé, principale fédération de patients, cette mesure « est un serpent de mer et une disposition sensationnaliste qui nous paraît en décalage avec tous les efforts réalisés depuis le Ségur de la santé, de manière concertée avec pouvoirs publics, professionnels et patients, pour sécuriser les prises en charge et faire bouger notre modèle, lui faire digérer le numérique ».
Sources : https://iatranshumanisme.com - https://www.marianne.net - https://www.ouest-france.fr -