Reconnaissance faciale dans 11 pays de l’Union européenne
La technologie de reconnaissance faciale permet d’identifier un visage humain à partir d’une image numérique ou d’une vidéo. [Trismegist san/Shutterstock]
Les forces de l’ordre de onze pays européens utilisent déjà des systèmes de reconnaissance biométrique dans leurs enquêtes et huit autres vont bientôt suivre ce mouvement, indique une nouvelle étude qui met en garde contre l’impact de cette technologie sur les droits fondamentaux.
Les polices d’Autriche, de Finlande, de France, d’Allemagne, de Grèce, de Hongrie, d’Italie, de Lettonie, de Lituanie, de Slovénie et des Pays-Bas utilisent des technologies de reconnaissance faciale pour l’identification a posteriori dans leurs enquêtes criminelles. La Croatie, Chypre, la République tchèque, l’Estonie, le Portugal, la Roumanie, l’Espagne et la Suède devraient suivre dans un futur proche.
C’est ce qui ressort d’une étude, publiée lundi 25 octobre, qui avait été commandée par le groupe des Verts au Parlement européen, fervent promoteur de l’interdiction totale des systèmes de reconnaissance biométrique dans les espaces publics.
« La distinction entre “temps réel” et “ex-post” n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de l’impact de ces technologies sur les droits fondamentaux. L’identification a posteriori présente en fait un potentiel de préjudice plus élevé, car il est possible de rassembler davantage de données provenant de différentes sources pour procéder à l’identification », a déclaré Francesco Ragazzi, professeur associé à l’université de Leiden et auteur de l’étude.
La reconnaissance faciale
La forme la plus développée d’identification biométrique est la reconnaissance faciale, un procédé capable de faire correspondre des visages humains à une image numérique.
Le rapport met en garde : « Il semble que l’on comprenne mal les modalités d’application de cette technologie et l’impact potentiel d’un si large éventail d’applications sur les droits fondamentaux des citoyens européens. »
L’étude se concentre sur les recherches dites non coopératives, où le système tente d’identifier une personne sans son consentement. Elle note que le déploiement de ces technologies est encore limité en termes de portée et d’échelle à travers l’Europe, allant de l’identification des individus à la surveillance de masse.
Dans les recherches coopératives, par exemple, l’utilisation de la reconnaissance faciale pour déverrouiller les smartphones n’est pas considérée comme présentant actuellement un risque de surveillance de masse. Toutefois, le rapport note que la situation pourrait changer si le cadre juridique était modifié, car ces systèmes coopératifs ont accumulé des quantités massives de données personnelles.
Deux évolutions sont pointées du doigt comme rendant la surveillance de masse plus probable : l’expansion des bases de données biométriques et le pilotage de plusieurs systèmes connectés à des logiciels d’identification biométrique.
« Ce que nous constatons avec ces projets, c’est qu’ils suivent de plus en plus une stratégie du “fait accompli”. Ils sont généralement présentés comme un projet pilote, demandant quelques circonstances particulières concernant le déploiement de la technologie. Ils demandent l’autorisation plus tard », a ajouté M. Ragazzi.
Projets pilotes
En 2017, l’aéroport de Bruxelles avait déployé quatre caméras de reconnaissance faciale, sans en informer l’autorité de surveillance compétente. Un quartier de Rotterdam a, lui, lancé un projet « zéro cambriolage » pour détecter les comportements suspects à l’aide de lampadaires intelligents.
Nice a commencé à suivre la technologie de reconnaissance faciale dans les rues. L’utilisation d’outils d’identification biométrique dans les écoles secondaires a également été testée, mais a été déclarée illégale. En revanche, au Royaume-Uni, les outils de reconnaissance faciale sont désormais utilisés pour identifier les élèves dans les cantines scolaires.
En Allemagne, les villes de Berlin, Hambourg et Mannheim ont toutes déployé des logiciels de reconnaissance faciale pour tester leur capacité à détecter des comportements suspects.
« La justification par le test est souvent utilisée en Allemagne comme argument pour dévier des règles existantes », peut-on lire dans le rapport.
L’étude note que ces projets pilotes ont tendance à démarrer dans une zone grise juridique et, s’ils ne sont pas contrôlés, pourraient avoir pour effet à long terme de normaliser la surveillance. La surveillance des comportements suspects en particulier pourrait avoir un effet paralysant sur les libertés individuelles.
En outre, dans la plupart des cas, les infrastructures telles que les caméras et les microphones ont été désactivées, mais elles restent en place.
Discussions parlementaires
Au début du mois, le Parlement européen a adopté une résolution appelant à des règles strictes concernant l’utilisation de systèmes d’Intelligence Artificielle (IA) dans le cadre de l’application de la loi, et préconisant notamment l’interdiction des technologies de reconnaissance faciale dans les espaces publics.
Le rapport a été fortement soutenu par les groupes libéraux, sociaux-démocrates, de gauche et écologistes, tandis qu’il a divisé les partis de droite et d’extrême droite. En revanche, les chrétiens-démocrates ont voté à la quasi-unanimité contre l’interdiction.
« Bien qu’il faille des garanties strictes et certaines interdictions, une interdiction totale de la reconnaissance faciale ne tient pas compte des avantages que cette technologie peut avoir, par exemple pour traquer les criminels ou même dans le cadre d’autres cas d’utilisation, comme la formation des véhicules autonomes à la reconnaissance des humains », a déclaré Axel Voss, un eurodéputé allemand influent dans le camp chrétien-démocrate.
L’interdiction pourrait être intégrée dans la loi sur l’intelligence artificielle, ce que Brando Benifei, eurodéputé italien et rapporteur de la commission du Marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO) au Parlement européen, a demandé. Cependant, d’autres commissions parlementaires ont contesté la direction de l’IMCO, ouvrant ainsi un conflit de compétences.
Pour résoudre ce conflit, le président de la Conférence des présidents des commissions, l’eurodéputé italien et chrétien-démocrate Antonio Tajani, a recommandé une direction conjointe entre IMCO et la commission des Affaires juridiques (JURI). Au sein de la JURI, l’un des camarades de parti de M. Tajani devrait prendre la direction des opérations, ce qui rendrait une interdiction totale moins probable.
La décision finale appartient à la Conférence des présidents, qui discutera de la question le 18 novembre.
Source : https://www.euractiv.fr