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L'IA découvre que toutes les empreintes digitales ne sont pas uniques

Pour la première fois, des chercheurs ont trouvé des preuves que les empreintes digitales de différents doigts d’une même personne ne sont pas uniques. Cette étonnante découverte a été rendue possible grâce à un programme d’intelligence artificielle appelé « deep contrastive network » (réseau contrastif profond).

Image d’entête : contrairement à la médecine légale traditionnelle, cette IA s’appuie principalement sur la courbure des tourbillons au centre de l’empreinte digitale, comme le montre la carte thermique. (Gabe Guo, Columbia Engineering/ silhouette générée par Midjourney)

Les experts en criminalistique ont toujours pensé que des empreintes digitales différentes étaient uniques et cela s’applique également aux différentes empreintes digitales d’une même personne. Cela posait plusieurs problèmes, notamment lorsqu’il s’agissait de trouver des liens entre deux crimes commis par le même auteur. Prenons l’exemple de deux crimes commis par le même auteur. Sur la première scène, cette personne a laissé une empreinte digitale de l’auriculaire droit. Sur la deuxième scène, cette personne a laissé une empreinte digitale de l’index gauche. Avant la découverte de la similarité entre les empreintes digitales d’une même personne, il n’y avait aucun moyen de relier ces scènes, ce qui pouvait entraîner des recherches redondantes et inefficaces. Aujourd’hui, selon les chercheurs, nous avons un moyen de relier ces scènes et de mettre en commun les ressources de manière plus efficace.

Selon ces nouvelles recherches, il existe donc une certaine similitude entre les empreintes digitales d’une personne et cela pourrait être un moyen d’ouvrir de nouvelles pistes pour des affaires criminelles non résolues tout en réduisant le nombre d’innocents qui font l’objet d’une enquête. À l’origine, les chercheurs ont développé le réseau contrastif profond pour détecter les similitudes et les différences entre deux images.

Selon Gabe Guo, chercheur principal de l’étude (lien plus bas) et étudiant de premier cycle à l’école d’ingénieurs de l’université Columbia (États-Unis) :

Ce réseau prend deux images et prédit si elles appartiennent à la même catégorie. Par exemple, si je lui donne deux images différentes de mon chien Bob, il dira qu’elles sont « identiques », alors que si je lui donne une image de mon chien Bob et une image de mon chat Jim, il dira qu’elles sont « différentes ».

L’IA fonctionne en apprenant quelles sont les caractéristiques des images sur lesquelles elle doit se concentrer, par exemple les angles et la région centrale. Pour entraîner et tester ce programme d’IA, les chercheurs l’ont alimenté avec 60 000 empreintes digitales accessibles au public dans une base de données du gouvernement américain. Les images ont été téléchargées par paires et l’IA a dû déterminer si elles appartenaient à la même personne.

À l’époque, les chercheurs ne connaissaient rien à la criminalistique et essayaient simplement d’améliorer les performances de leur programme d’IA. Toutefois, à leur grande surprise, le programme a trouvé quelque chose qu’aucun expert en criminalistique n’avait jamais remarqué.  L’IA n’utilisait pas les « minuties » (ou points singuliers locaux), c’est-à-dire les ramifications et les extrémités des crêtes des empreintes digitales, les motifs utilisés dans la comparaison traditionnelle des empreintes digitales. Elle utilisait plutôt quelque chose d’autre, lié aux angles et aux courbes des tourbillons et des boucles au centre de l’empreinte digitale », a déclaré M. Guo.

Après avoir soigneusement étudié ces marqueurs sur des milliers d’empreintes digitales, l’IA a découvert que l’angle de la crête au centre de l’empreinte digitale était très similaire parmi les dix empreintes digitales d’une même personne. C’est la première fois que l’on constate que les empreintes digitales d’une même personne ne sont pas entièrement uniques. Toutefois, il est important de noter que la précision du réseau contrastif profond n’est pas encore suffisante pour servir de preuve décisive dans les affaires judiciaires.  En outre, il est nécessaire de valider davantage les résultats de cette étude en utilisant un ensemble de données plus important.

Le réseau contrastif profond a détecté des similitudes dans les paires d’empreintes digitales avec une précision de 77 %, et ses performances se sont améliorées au fur et à mesure qu’il recevait davantage de données. Toutefois, lorsque les chercheurs ont présenté leur étude à une revue spécialisée en criminalistique, le rédacteur en chef et les experts ont rejeté leurs conclusions. Ils ne pouvaient pas croire les résultats en raison du fait bien établi que « chaque empreinte digitale est unique ». Les examinateurs étaient également sceptiques parce que les chercheurs responsables n’avaient pas d’expérience dans le domaine de la criminalistique. Cependant, selon Hod Lipson, chercheur principal et professeur à Columbia Engineering, il était en fait fascinant de voir comment un étudiant, sans aucune expérience préalable en criminalistique, pouvait utiliser l’IA pour remettre en question une vieille croyance dans un domaine entier.

Ce refus n’a pas découragé les chercheurs, qui étaient convaincus que « leur découverte était trop importante pour être ignorée ». Ils ont donc continué à postuler à d’autres revues tout en améliorant leur système d’intelligence artificielle. Finalement, leur travail a été accepté pour publication dans une revue réputée.

Selon Guo : Ce n’est pas seulement une nouvelle ère pour la police scientifique, c’est aussi une nouvelle ère pour l’IA. Les empreintes digitales sont un élément que chaque être humain regarde quotidiennement, mais aucun être humain n’a vu cette similitude entre ses propres empreintes jusqu’à ce que notre IA le signale. On peut donc se demander quelles sont les autres choses qui se cachent littéralement sous nos yeux et qui attendent d’être découvertes par l’IA.

Les empreintes digitales ne sont plus uniques à chaque doigt, et ça pourrait rouvrir des affaires criminelles

Une IA a réussi à relier les empreintes des doigts venant d’un même individu, une performance jamais réalisée jusqu’ici par l’homme.

Getty images Les empreintes digitales ne sont plus uniques, et ça pourrait rouvrir des affaires criminelles

SCIENCE - Imaginez. Un cambriolage vient d’être commis dans votre appartement, les affaires sont sens dessus dessous, vos possessions de valeurs dérobées. Coup de chance ! La police scientifique met la main sur une empreinte digitale, juste sur votre porte forcée. Grâce à elle, un suspect est appréhendé. Pourtant, l’empreinte du malfaiteur que possédaient les enquêteurs n’était pas au même doigt, ni à la même main…

Ce scénario semble absurde : les empreintes digitales sont uniques, non seulement à chaque personne, mais à chaque doigt, pieds compris. Jusqu’à ce que l’intelligence artificielle s’en mêle. Dans une expérience racontée dans la revue Science Advances, une équipe de l’université de Columbia a ainsi démontré que, contrairement à ce que tout ce que l’on croyait jusqu’ici, nos empreintes digitales ne sont pas uniques. Tous les doigts d’un individu possèdent la même « signature ». Il suffisait de savoir où chercher.

Crêtes, bosses et courbures

Tout cela grâce à intelligence artificielle, entraînée sur des centaines de cas réels à reconnaître les empreintes digitales, à partir d’empreintes venant soit d’une même personne, soit de personnes différentes à chaque fois. Peu à peu, quelque chose d’étrange s’est produit : l’IA a réussi à reconnaître, avec une efficacité toujours croissante, quelles empreintes provenaient des mêmes individus.

« Nous parlons d’identifier cinq doigts d’une même main, pour les faire correspondre aux cinq doigts de la main correspondante », précise au HuffPost Gabriel Guo, l’un des chercheurs ayant participé à l'expérience. Quelque chose que les humains, jusqu’ici sont incapables de faire. Et pour cause : l’IA n’utilise pas les mêmes points de repère que nous pour identifier les empreintes.

Sciences Advance La technique traditionnelle d’identification des empreintes, via les minuties.

Pour confondre un criminel, ou déverrouiller un téléphone portable, la technique est la même. L’on s’appuie sur la correspondance d’éléments caractéristiques, comme une bifurcation du sillon, ou un espace qui se referme - on appelle cela des minuties. Comme aucune empreinte n’est identique à une autre, un certain nombre de ces correspondances (douze selon la loi française) permet d’identifier formellement un individu.

Mais notre IA n’a pas regardé que ces minuties, pourtant depuis toujours l’élément sur lequel on s’est basé pour reconnaître les empreintes. Les algorithmes ont choisi de s’arrêter sur les angles et les arrondis formés par nos empreintes, en particulier près du centre des doigts. Et à partir de cette concordance, l’ordinateur de Columbia a retrouvé, avec une justesse dépassant les 80 %, que certaines empreintes appartenaient à une même main, ou une même personne.

Sciences Advance La méthode utilisée par l’IA, utilise les arrondis au centre du doigt.

© Guo et al.

Réouvrir des « cold cases »

Potentiellement, l’impact de cette avancée est énorme. Suffisamment pour l’utiliser à fins policières ? Avec ce taux de réussite, « pas pour une utilisation devant un tribunal », corrige le jeune chercheur. Mais en entraînant l’IA sur un échantillon plus large, les scientifiques pensent pouvoir atteindre une efficacité totale. Et en attendant, cela pourrait tout de même permettre d’aiguiller des enquêtes, ou de les rouvrir.

En effet, combien d’empreintes dorment dans des dossiers parce qu’elles n’ont pu être reliées à personnes ? Il est possible ici d’imaginer qu’une IA proprement entraînée serait capable de faire le lien entre plusieurs affaires où des empreintes différentes, mais appartenant à la même personne ont été retrouvées.

Mais il n’y a pas que cela : toujours si la technologie s’avère fiable, pourquoi nos smartphones et nos ordinateurs ne s’appuieraient pas sur ces courbes pour reconnaître leur utilisateur ? Pratique lorsque la main habituelle du déverrouillage n’est pas libre. « C’est une application plus facile que la reconnaissance policière », explique Gabriel Guo.

Pour « nourrir » l’IA, l’équipe a en effet utilisé des empreintes souvent partielles, plus ou moins lisibles sur des fonds différents. Dans le cas d’un smartphone sur lequel on appuie, l’identification est beaucoup plus simple, et le risque de se tromper beaucoup plus faible. L’intérêt de cette technologie n’est d’ailleurs pas passé à côté des industriels. « Nous avons reçu plusieurs marques d’intérêt de plusieurs sociétés », explique le chercheur, dont la technologie est en train d’être brevetée.

L'IA et les empreintes digitales : une nouvelle vision

C'est sous la supervision du Professeur Hod Lipson, roboticien à Columbia que l'étude s'est déroulée. Leur outil a démontré une précision de 75 à 90 % pour associer des empreintes de différents doigts à un même individu. Un taux de réussite assez élevé, qui laisserait suggérer que chaque empreinte n'est pas réellement unique.

Contrairement aux méthodes classiques, l'IA se focalise sur l'orientation des crêtes au centre des doigts. « Il est évident qu'elle n'utilise pas les marqueurs traditionnels employés depuis des décennies en criminalistique » souligne le professeur Lipson. En revanche, il avoue : « nous ne sommes pas tout à fait sûrs de la manière dont l'IA y parvient ». Une découverte surprenante, qui a mené Lipson et son équipe à vérifier à plusieurs reprises si les résultats disaient vrai.

D'autres experts semblent un peu moins surpris de la nouvelle. C'est le cas de Graham Williams, professeur de science forensique à l'Université de Hull. En effet, selon lui, il n'y a jamais eu de preuve absolue que les empreintes digitales étaient propres à chaque individu. « Nous ne savons pas réellement si les empreintes sont uniques (…) Tout ce que nous pouvons affirmer, c'est qu'à notre connaissance, aucune empreinte identique n'a été observée chez deux personnes différentes ». Toute la nuance est là.

Implications et limites de cette découverte

Les retombées de cette découverte pourraient fortement influencer les sciences forensiques ou la biométrie. Un jour arrivera peut-être où l'IA sera capable de nouer un lien entre des empreintes non identifiées sur différentes scènes de crime. Ce serait une petite révolution pour les champ des enquêtes criminelles !

Toutefois, l'équipe de Columbia manque d'expérience en forensique. Selon leur point de vue, il faudrait des recherches plus approfondies afin de confirmer leur découverte. Dans l'idéal, il faudrait entraîner un outil d'IA sur une base de données plus vaste. Gabe Guo, un étudiant de premier cycle, précise : « notre outil n'est pas suffisamment fiable pour être utilisé comme preuve dans des affaires judiciaires, mais il est utile pour générer des pistes dans des enquêtes forensiques ».

D'autres chercheurs, comme le Dr Sarah Fieldhouse (professeure de science forensique), de l'Université de Staffordshire, restent plus mesurés quant à cette découverte. Elle estime que, dans l'immédiat, cette étude n'aura pas de réel impact judiciaire pour l'instant. Celle-ci sera dans tous les cas publiée dans la revue Science Advances le 13 janvier et ouvrira tout de même de nouvelles perspectives sur l'analyse des empreintes digitales.

Les chercheurs reconnaissent ouvertement que leur système n’est pas encore assez mature pour être utilisé dans de vraies enquêtes, avec des conséquences très importantes pour la vie des personnes concernées. Il n’y a d’ailleurs aucune garantie qu’il sera un jour suffisamment précis. Mais le potentiel de cette approche laisse songeur, et montre que cette piste mérite d’être explorée.

« Imaginez à quel point ce système pourrait être performant s’il était entraîné sur des millions plutôt que sur des milliers d’empreintes », explique Aniv Ray, co-auteur de l’étude. « Si cette information fait pencher la balance, on peut imaginer que de vieilles affaires pourraient être ouvertes à nouveau », suggère Lipson. « Peut-être même que des innocents pourraient être acquittés ».

Pourquoi ces ressemblances ont échappé aux experts

Le modèle obtenu par les chercheurs de Columbia réussit, contre toutes les attentes des experts, à obtenir des correspondances entre les empreintes des différents doigts d’une personne. Dès les premiers résultats, l’équipe cherche à être publiée dans une revue spécialisée dans la science médico-légale. Ils reçoivent quelques mois plus tard un refus avançant l'idée que "tout le monde sait que chaque empreinte est unique".

Face à cela, les chercheurs n’abandonnent pas, produisent plus données et les analysent afin de savoir quels sont les éléments importants d’après l’IA. Quelques mois plus tard, leurs résultats sont acceptés par la revue Science Advances.

Comment ces ressemblances ont pu, pendant des décennies, échapper aux experts du domaine ? La réponse est assez simple : ils ne regardaient pas au bon endroit. Là où la méthode classique d’identification se base sur les minuties, croisements et extrémités des crevasses formant le motif sur le bout de nos doigts, l’IA va regarder la courbure et l’angle de ces lignes et plus précisément la partie centrale du motif.

Des résultats prometteurs à affiner

Les résultats de l’IA sont actuellement très bons : près de 77 % des paires où les empreintes venaient de la même personne ont été identifiées comme tels, cette précision augmente significativement si l’on considère plus que deux empreintes à la fois. Les chercheurs ont également voulu vérifier les biais pouvant opérer dans leur système : aucun n’a été trouvé concernant le genre ou la couleur de peau.

Pour entraîner leur modèle, les chercheurs ont utilisé une base de données américaine publique, mais pour pouvoir l’utiliser dans la vie réelle, il faudrait un jeu de données plus large. La question de l’origine de ces données nécessaires à l’entraînement vient donc se poser : quelles seront les données ? Comment seront-elles récupérées ? Seront-elles utilisées uniquement pour ce projet ?

Pour les auteurs de l’étude, il est également important de noter que cet outil potentiel n’est pas un outil "miracle". À l’instar des méthodes actuelles en médecine médico-légale, les informations obtenues sont là pour orienter l’enquête. Il faut un ensemble de preuves concordantes pour pouvoir juger d’une affaire. Particulièrement, en matière de justice, le résultat d’un algorithme ne suffit pas pour donner confiance en un scénario.

L’étude publiée dans Science Advances : Unveiling intra-person fingerprint similarity via deep contrastive learning et présentée sur le site de l’Université Columbia : AI Discovers That Not Every Fingerprint Is Unique - https://www.clubic.com -

Sources : https://www.gurumed.org - https://www.huffingtonpost.fr - https://www.sciencesetavenir.fr - https://www.journaldugeek.com